mercredi 8 février 2012

Le nouveau défi d’Angelina Jolie

L'actrice défend son premier long-métrage, “Au pays du sang et du miel”, en tant que réalisatrice



Photo Patrick Demarchelier

Déesse du star-système et pasionaria humanitaire, cette Wonder Woman est aussi une réalisatrice engagée. Au pays du sang et du miel, son premier film, raconte une histoire d’amour pendant la guerre en Bosnie. Elle ne tait ni les atrocités, ni la responsabilité de la communauté internationale. Rencontre avec une belle conscience made in Hollywood.

Angelina Jolie est un curieux paradoxe. Une star sculpturale, telle qu’en produit l’époque, aussi à l’aise sur les red carpets que sur les tarmacs des aérodromes du Darfour. Une beauté glamour qui inspira autrefois à un George Clooney pince-sans-rire cette phrase immortelle : « Angelina sera toujours la bienvenue à la maison. Brad (Pitt), en revanche, peut rester chez lui. »
Une rescapée des gouffres de la postadolescence (John Voight, son père, génial acteur de Macadam Cowboy, n’était pas le plus équilibré des hommes), qui la conduit sans doute aujourd’hui à s’impliquer auprès des plus désarmés. Pour la voir truster les covers des magazines people, flanquée de ses six enfants en grappe au bras de son prestigieux mari, on en oublierait presque le principal : Angelina Jolie, qui fit ses débuts en short, en marcel et en pilleuse de tombes dans le personnage de Lara Croft (Tomb Raider), a su gagner la confiance de réalisateurs comme Robert De Niro (Raisons d’État), Michael Winterbottom (Un coeur invaincu, sur le meurtre du journaliste américain Daniel Pearl), ou Clint Eastwood (l’Échange, une nomination à l’Oscar – oscar qu’elle reçut d’ailleurs, tout le monde l’a oublié, pour Une vie volée, de James Mangold en 2000).
Ces jours-ci, elle défend à Los Angeles, son premier long-métrage, Au pays du sang et du miel, histoire d’amour ambiguë entre un Serbe et une Bosniaque, pendant le siège de Sarajevo, en plein conflit des Balkans.






Photo Patrick Demarchelier

Réalisatrice : son nouveau défi

Elle entre dans la pièce de ce palace de Hollywood, superbe et amaigrie, sanglée dans une petite robe noire stricte d’executive woman. Le message subliminal est clair : ici, la star internationale s’efface devant la réalisatrice débutante. Et la réalisatrice débutante devant son impérieux sujet : « Depuis dix ans, explique Angelina Jolie en faisant rouler une petite bouteille d’eau entre ses mains, j’ai eu la chance de travailler sur le terrain avec des membres du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Ils m’ont ouvert les yeux sur les plaies du monde. Et permis de côtoyer d’innombrables victimes de guerre. Toutes m’ont tenu à peu près le même discours : combien de conflits aurait-on pu éviter si les forces internationales étaient intervenues en amont ? »
À la fois devoir de mémoire et plaidoyer, Au pays du sang et du miel (le nom que donnaient à leur pays aujourd’hui morcelé les ex-Yougoslaves) ne fait l’impasse ni sur la violence ni sur les viols, les Serbes en perpétrèrent des milliers entre 1992 et 1995. La réalisatrice a recruté des acteurs qui avaient vécu sur Sniper Alley (l’artère centrale de Sarajevo d’où Serbes et Bosniaques se canardaient et où les voitures descendaient à tombeau ouvert). Elle a choisi pour décor de vrais camps pénitentiaires.
Résultat : le film retient l’attention outre-Atlantique pour de bonnes raisons. Une plongée dans le plus grand génocide depuis la Seconde Guerre mondiale. Et non pour d’autres motifs plus discutables : c’est du (Angelina) Jolie et donc un objet de curiosité.

Michelle et Barack Obama ont d’ailleurs reçu M. et Mme Pitt dans le bureau ovale de la Maison-Blanche pour évoquer le travail mené par l’actrice contre les atrocités de masse et les violences sexuelles contre les femmes. Fine mouche, la moitié des « Brangelina » adopte un discours officiel et fait profil bas. « Je n’ai jamais programmé de devenir réalisatrice, insiste-t-elle. J’étais dans notre maison du sud de la France (une bastide varoise protégée comme Fort Knox, NDLR) quand un coup de froid m’a contrainte à la quarantaine. Je me suis mise à écrire d’une traite, sans réfléchir. En deux jours, j’avais les grandes lignes de mon scénario. Je l’ai montré à Brad qui m’a dit : “Tu sais, ce n’est pas si mal, chérie.” » Elle sourit et son sourire gomme ce que la remarque pourrait contenir de condescendance. Sur le plateau, la direction d’acteurs et la mise en scène reviennent à Angelina Jolie.
La gestion des enfants, toujours prompts à courir partout, relève du domaine de Brad (il s’improvise aussi photographe). Comme le chanteur Bono qui, pour éviter de se faire taxer d’amateurisme lorsqu’il vint évoquer l’Afrique au G8, prit des cours accélérés de macro-économie à la Banque mondiale et auprès d’éminents spécialistes, l’actrice s’est, bien évidemment, informée sur le conflit bosniaque, soumettant ses comédiens à la question. « Avec Brad, nous avons un accord tacite : mener à bien nos projets chacun notre tour », raconte-t-elle. Le deal dure depuis leur rencontre explosive – ils incarnaient des agents secrets qui avaient pour mission secrète de s’entre-tuer – sur Mr.&Mrs. Smith, de Doug Liman, en 2005.


J’ai eu la chance de travailler sur le terrain avec des membres de l'UNHCR


L’actrice la mieux payée de Hollywood

À l’époque, elle n’est pas tout à fait une inconnue. Le public n’ignore rien de ses relations houleuses avec son père, de ses tentatives d’automutilation, de son premier mariage avec l’acteur Billy Bob Thornton (un siphonné de première), de sa filmographie encore très inégale et de sa légende (elle cultiverait un goût immodéré pour les serpents et les tatouages). Ensemble, Angelina Jolie, la starlette, et Brad Pitt, l’acteur de Seven et d’Entretien avec un vampire, vont devenir invincibles. Ils adoptent des enfants en Afrique ou ailleurs (les paparazzis se livrent une bataille sans nom pour obtenir la photo officielle du premier bébé et de ses parents). Ils tournent des films de plus en plus ambitieux avec le gotha des cinéastes hollywoodiens (la moindre de leurs apparitions électrise le Festival de Cannes). Ils s’engagent dans des projets humanitaires : elle en Afrique ou en Irak, lui dans un programme de reconstruction à La Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina. Angelina Jolie évolue avec une facilité déconcertante des premières de films aux camps de réfugiés de Sierra Leone ou d’Afghanistan, de Vanity Fair au board du Council on Foreign Relations – un think tank qui compte Bill Clinton dans ses rangs.
Elle troque aussi son aura rock and roll et borderline pour l’image plus consensuelle d’une mère de famille sexy et « hobo chic », qui n’oublie pas pour autant les sans-grades. « It’s payback time », ont coutume de dire les Américains, prompts à ouvrir leur portefeuille et à rendre ce qu’ils ont reçu.

Les « Brangelina » sont de cette trempe. Au cours des dix dernières années, les deux acteurs auraient versé 15 millions de dollars aux causes venant en aide aux indigents.
Une tactique payante sans mauvais jeu de mots. Mais l’actrice la mieux rémunérée de Hollywood – la seule, aussi à pouvoir tenir la dragée haute aux hommes dans des films d’action (cf. son rôle dans Salt, de Phillip Noyce, une Jason Bourne au féminin dans un sous- la Mémoire dans la peau) – ne néglige pas pour autant sa carrière : au dîner des derniers Golden Globes, Angelina Jolie et le réalisateur espagnol Pedro Almodóvar se promettent sur un ton badin de travailler ensemble. L’information est aussitôt reprise par les blogueurs du monde entier. Et elle s’apprête à tourner dans le prochain Luc Besson.








Photo Patrick Demarchelier

Jolie militante ?

L’actrice prépare aussi son deuxième long-métrage qui se déroulera... en Afghanistan. « Ma famille aurait bien voulu que je choisisse un sujet plus léger, glisse-t-elle, car la préparation d’Au pays du sang et du miel a été plutôt intense. Mais, que voulez-vous, je me trouvais au Pakistan deux semaines avant le 11 septembre 2001 sur le tournage d’Un coeur invaincu, j’ai suivi le retour de plusieurs familles à Kaboul pendant dix ans, j’ai rencontré des soldats américains blessés, en particulier des femmes. Et tout cela est en train de mûrir en moi. » Bref, on ne se refait pas. Alors, qui est vraiment Angelina Jolie ? Une comédienne qui se bonifie, les années aidant ? Une militante sincère prompte à suivre l’exemple d’un George Clooney, désormais appliqué à mettre sa notoriété au service des combats qui lui tiennent à coeur, tout en tournant des longs-métrages sur les remugles de la politique américaine (maccarthysme ou scandales) ? Il y a fort à parier qu’Au pays du sang et du miel, tourné en serbo-croate et au casting peuplé d’inconnus, ne battra pas de records au box-office.

Mais Angelina Jolie s’en moque. Elle évolue désormais dans une autre galaxie. Celle de la liste A des acteurs de Hollywood dont la conscience leur dicte que l’engagement vaut encore le coup. Et que notre vieux monde à la dérive mérite qu’on lui sacrifie un peu.
source: madame le figaro.fr

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