dimanche 1 avril 2012

Hedi Slimane,Après avoir imposé son allure chez Dior, l'enfant du rock revient chez Yves Saint Laurent

Hedi Slimane, le retour du prodige

 


Photo Y. R.

Le directeur artistique de la griffe Yves Saint Laurent, Hedi Slimane.

Enfant du rock, maître de l’élégance, photographe subtil, c’est un homme rare et sauvage. Styliste visionnaire, Hedi Slimane a imposé son allure chez Dior après avoir fait ses armes chez Saint Laurent, où l’on fête aujourd’hui son retour aux sources comme directeur de la création et de l’image... Deux mots sur mesure.

Ce silencieux fait beaucoup de bruit. L’évocation de son nom déclenche des avalanches de superlatifs chez qui le connaît, porte ses créations ou rêve de se mirer en lui. Sa vision du vestiaire ne tolère aucun à-peu-près, il aiguillonne les essorés de l’éphémère, fait l’unanimité chez les incontournables pythonisses de la mode. Hedi Slimane. Après une respiration prise à Los Angeles, après s’être tenu cinq ans à l’écart des podiums, après sa retraite voulue pour se concentrer sur son travail photographique, voici qu’il revient à la direction artistique d’Yves Saint Laurent, image et création. Hedi Slimane. La littérature à son égard est épaisse. On y souligne une parfaite adéquation avec l’époque. On y lit respect et reconnaissance, le curseur tient son rang, à l’opposé de la flatterie, des falbalas, du vernis. Son entourage le traite avec précaution, bienveillance, comme on manipule le service en cristal réservé au dimanche. Ainsi soit-il, Hedi Slimane. Ce visage aux yeux clairs posés sur un teint d’une pâleur chlorée a quelque chose de rimbaldien. À l’esprit, il a le culte de l’oxymore. Hedi Slimane se plaît à dire qu’il est venu à la mode par hasard et parle d’échec transfiguré. Sa mode est née d’un carambolage orchestré, au croisement de la musique rock, de la jeunesse composite qui la vit. On lui doit la sveltesse aiguisée, le jean slim, la cravate étroite, le calibre d’une ligne d’épaule, la silhouette sanglée, étriquée, étirée. De lui, vous savez qu’il a posé les pierres angulaires du vestiaire masculin chez Yves Saint Laurent.




Photo Hedi Slimane
Deux photos signées Slimane : à gauche, Pierre Bergé, à droite, un modèle féminin période Yves Saint Laurent.

“Un goût parfait, un œil admirable”

À cette époque, Hedi Slimane est photographe, il est connu pour son œil et son sens du casting. Il débute en 1996 chez Saint Laurent en tant que directeur de collections pour les lignes homme, il accède à la vitesse de l’éclair au rang de directeur artistique. « Je répondrais au pourquoi, explique Pierre Bergé qui l’a engagé, en disant que j’ai été touché par la singularité du personnage, par son intelligence, sa volonté, sa façon de transporter un univers avec lui. J’ai tout de suite perçu les points communs qu’il partageait avec Yves. Un goût parfait, un œil admirable, une timidité bouclier derrière laquelle s’abrite le caractère radical de ceux qui ne transigent pas. » Le big bang de Slimane s’est produit chez Dior Homme. Il y est invité en 2001, il a quitté la maison à l’échéance de son contrat en 2007. Entre ces deux repères, il n’a eu de cesse de tailler l’homme comme on le ferait de la pierre, de lui façonner une nouvelle allure, une morphologie. Il a donné corps à une attitude, révélé l’idée que les femmes se faisaient de l’identité masculine, avec sa part de romantisme et de radicalité.


L’écume de la génération 2.0

Il a ajouté un échelon à l’échelle de Darwin, et l’homme s’est redressé pour marcher droit. Les femmes lui ont emboîté le pas, en se glissant dans le vestiaire que Slimane leur a aussi accordé en petite taille. Dans le sillage de ce frotteur de silex se trouve et se retrouve l’écume de la génération 2.0. Hedi Slimane a défini une mode, insufflé un style, beaucoup copié depuis. Pour vous tisser une idée de lui, passer de la cotte de mailles à la moelle, ne vous fiez pas à l’habit, à ce qu’il en a fait, à ce qu’il en fera et, pire encore, aux prophéties. Concentrez-vous plutôt sur ses iris. Tel a été l’exercice. Souffrez que Slimane Hedi soit un regard et le miroir d’une somme de regards croisés.

Le constructivisme russe le fascine
 
Ses points d’ancrage, pour la petite histoire, s’égrènent en trois clés. Slimane soutient que, petit, les mercredis sans école sont synonymes de magistral ennui. Des heures passées non pas à jouer aux cartes mais à construire avec des formes géométriques, rechercher un ordre et une symétrie parfaite, qui tenait, d’après lui, de la répétition quasi psychorigide. Cette obsession des perspectives reste imprimée dans ses rétines. Plus tard, il s’intéresse aux cadres, aux obliques, aux profondeurs de champ. Le constructivisme russe le fascine. Les travaux de l’artiste Alexandre Rodtchenko l’attirent. La peinture romantique allemande de Caspar David Friedrich le retient. Il aime l’alignement implacable des façades parisiennes, la complexité des jardins à la française croqués par Le Nôtre.

De la chambre noire à hypokhâgne

Sur les banquettes du Louvre, Slimane dilapidera ses après-midi devant les David et les Delacroix. Le saut créatif pour Slimane a été de réduire les champs, de resserrer les perspectives en y ajoutant une idée de mouvement, de bruit. Minot, il découvre le rock. David Live, de David Bowie, est son premier album. Hedi Slimane s’inocule la culture rock anglaise par ce biais. De ce même David Bowie qu’il habillera pour ses tournées, il recevra en 2002 le prix international du Council of Fashion Designers of America (CFDA).
Il déballe son premier appareil photo à 11 ans. Depuis, l’homme s’est toujours réfugié derrière un boîtier. D’abord, il s’intéresse à ses amis, puis il promène son objectif au fil des humeurs de Paris. Adolescent, il prend des cours de photographie, pratique la chambre noire comme d’autres à son âge commencent à humer les bistroquets. Slimane développe ses tirages, cherche l’expression du grain, ne déroge pas du noir et blanc et fait du portrait son credo. Il se voit journaliste reporter. La révélation a lieu lors de la visite des locaux du quotidien Le Monde, une journée portes ouvertes. Il fera hypokhâgne. C’est l’année du projet de loi Devaquet, l’étudiant Slimane est plus souvent dans la rue qu’en cours. À la Sorbonne, il rencontre et se lie d’une amitié quasi fraternelle avec Hervé Mikaeloff, aujourd’hui commissaire d’exposition et conseiller en art contemporain.


Ils sont ensemble en histoire de l’art. Slimane suivra ensuite le cursus de l’École du Louvre. « Il avait toujours son boîtier à la main, se souvient Hervé Mikaeloff. Le Louvre était en travaux, il a photographié les statues sous toutes les coutures puis s’est intéressé aux vibrations, à l’instantanéité des sentiments. Il envisageait la presse par le graphisme et la photographie, il voulait écrire. C’est avec et par la photo qu’il le fera. » Sa focale révèle la poésie d’un tournis. Hedi Slimane traque et fixe la musicalité des tourments de la scène rock. Il a pour principe de ne jamais assister à un concert autrement que sur le côté de la scène, un appareil photo entre les mains. Il enquête sur le flot des gens. Hedi Slimane est aussi un shooteur des affres de la rue, hydraté à la sève des métropoles et du macadam. « Ce n’est pas un mitrailleur, confirme Hervé Mikaeloff, la violence et la douceur ne l’intéressent pas, mais la fragilité de l’entredeux, le moment unique, l’accident. Il est très concentré. »

Dès la fin des années 90, Slimane se passionne pour l’underground berlinois. Il est invité en tant qu’artiste en résidence par le centre d’art Kunstwerke. Ses premiers projets, appelés « Intermission », sont exposés au palais Pitti, à Florence, en 2002. Il présente ensuite Berlin au Kunstwerke en 2003. La reconnaissance est immédiate. Ses travaux sont au MOMA, à New York, un an après. La galerie Almine Rech l’invite sur ses murs à Paris comme à Bruxelles, murs qu’il ne quitte plus. Après Berlin, son travail photographique se concentre sur Londres. Son objectif zoome sur l’émergence musicale et la mutation d’une adolescence à la carapace disparue, évoluant au rythme de sa mue. Mikaeloff suit ses travaux, l’aide à construire son parcours artistique et met en scène plusieurs expositions. Slimane, en parallèle des collections chez Dior, habille les groupes de rock qu’il repère à leurs débuts – The Libertines (avec Pete Doherty), Franz Ferdinand, The Kills... Il caparaçonne les tenues de scène des Mick Jagger, Jeff Beck, Jack White.


Un timide aux amitiés fidèles

En 2004, il publie Stage, ouvrage sur le renouveau du rock, chez l’éditeur Steidl. Ce livre apparaît comme les prémices de son journal photographique, qu’il lance sur le Net en 2006. Chaque jour depuis, la génération née avec un clavier se connecte sur le site Hedi Slimane Diary. Ce blog fait l’objet d’un ouvrage, Rock Diary, dont Slimane confie les textes au journaliste britannique Alex Needham, aujourd’hui à la tête du service culture du Guardian. Comme les marins piaffent d’impatience de reprendre la mer, à l’échéance de son contrat qui le lie à Dior, Slimane décide de s’éclipser des soleils halogènes des podiums. Il se consacre à son boîtier. Il met en images une nouvelle métropole : Los Angeles. Il quitte Paris en 2007 pour s’immerger dans les veines de la mégalopole, se calquer à la rythmique des contractions de son myocarde. Il y shoote (comme au scalpel on dissèque) la communauté artistique. Ce cycle aboutit en novembre dernier à California Song. Son regard fait l’objet d’une installation au musée d’Art contemporain de Los Angeles, le MOCA.
Hedi Slimane ponctue sa traduction de l’arythmie sentimentale, celle de la génération 2.0, par la publication, chez Ringier, d’un lexicon intitulé Antology of a Decade. Paris, Berlin, Londres et Los Angeles : quatre tomes pour une épopée à travers les saccades artistiques, musicales et rock, au diapason de sa vision de la mode. Voilà les hémisphères du créateur, du photographe.

Hedi est sans concession, il ne s’est pas dénaturé
 
Reste à sonder son magma. L’avant-propos alertera. La confession lui est impudique. Il n’a pas le goût de se raconter. Il a confié l’exercice de l’esquisse à une poignée de proches qui pour lui, sans défaut, feront rouler ses dés. Il vit entre Los Angeles et Paris. Parallèlement à ses nouvelles fonctions chez Yves Saint Laurent, il poursuivra sa carrière de photographe. Hedi Slimane est d’origine italienne par sa mère, tunisienne par son père. Il est né en juillet 1968 à Paris. Enfance rive droite plus que rive gauche. Trois enfants dans la fratrie, un fils, deux filles. Son attache à la famille lui est essentielle et, avec sa mère, le téléphone est un lien quotidien. On a bien affaire à un timide aux amitiés fidèles, fiables, fortes, sœurs et compartimentées. « Ce n’est pas un animal social, un mondain. Il intériorise, observe, perçoit les fragilités, il est extralucide. C’est en cela qu’avec lui les échanges sont intenses, justes, droits, pas alambiqués », explique Hervé Mikaeloff. Et d’ajouter : « Hedi n’a pas tellement changé. Il a gardé un côté très juvénile, curieux, pur. Il a su se préserver des excès des travers, il ne fume pas, déteste l’alcool, il est fidèle à sa part de rêves, à ses idées. Il est sans concession, il ne s’est pas dénaturé. Sa respiration à Los Angeles lui a permis de faire ce qu’il souhaitait, il est aujourd’hui très heureux. »

“S’il doute, il ne le montre pas”

Dans sa nature justement, Emmanuelle Alt, rédactrice en chef de Vogue, souligne chez Slimane un sens de l’humour très british. « Je l’ai rencontré il y a dix ans lors d’un dîner, précise-t-elle. Je ne suis pas de ceux qui flashent, mais le coup de foudre a été immédiat, et l’amitié fraternelle. Hedi est précis, très exigeant et rigoureux. Il a la culture du mot juste employé à son exacte valeur. Il est vif, entier, troublant par la façon dont il capte l’autre et s’y intéresse. Il est touchant, intègre, passionnel et passionné. Sa méfiance le protège. Ce n’est pas un calculateur, juste un visionnaire. Il a beaucoup d’assurance. S’il doute, il ne le montre pas. Il est extrêmement bien élevé, respectueux des autres. C’est si rare. »

Son rapport avec l’écrit s’étire de la presse – avec laquelle il a souvent travaillé – à Rilke, Baudelaire et la narration de Proust. La conjonction des individus singuliers l’attire, comme Allen Ginsberg, William Burroughs et Neal Cassady, sous la prose immédiate de Jack Kerouac. « Hedi Slimane est mû par la manière qu’il a d’affronter son destin, analyse Pierre Bergé. En revenant chez Saint Laurent, il retrouve la famille. Une famille d’esprit avec laquelle on parle le même langage. C’est un langage qu’il comprend. Il en connaît la grammaire, il en maîtrise le vocabulaire. Certains se sont imaginés parler ce langage, mais Slimane le fait naturellement, sans accent. » La rédaction des nouvelles pages a commencé. À bientôt, Hedi Slimane.


Étienne Daho : “Slimane a un œil redoutable”

« Dès notre rencontre, nous avons établi une fraternité instantanée. Nous avons des backgrounds assez semblables et une tendance à mettre notre créativité au centre de notre vie, d’une manière assez monacale. Hedi possède un œil redoutable et toujours plusieurs longueurs d’avance sur son époque. C’est un authentique visionnaire qui a su parler à l’âme des jeunes en magnifiant la fin de l’adolescence d’une manière juste, car il a en lui cette radicalité de la jeunesse. Hedi est un être entier, pur, qui ne fait aucun compromis dans son travail ou ses amitiés. Il est d’une intégrité remarquable et a courageusement renoncé un temps à ce que beaucoup auraient accepté sans conditions. Il a préféré s’éloigner et continuer sa route d’artiste indépendant, choisissant le moment qui lui semblerait opportun pour revenir. »
source: Madame Le Figaro.fr





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